Origine et histoire de la Commune Libre d'Ouchy

Une longue histoire, ponctuée de drames, de renouveau et enfin de reconnaissance

Fabien Loi Zedda, Syndic honoraire et historien a écrit ce survol passionnant de l'histoire d'Ouchy en général et de la Commune Libre et Indépendante en particulier. Un grand merci à lui pour ce travail et pour les compléments fournis à l'occasion de la rénovation de ce site en 2024.  Bonne visite !
GUIDE de voyage

Qui de mieux pour parler de mon histoire ?

« Moi, VAUDOISE, plaque minéralogique VD 148, brick lémanique mouillé en 1932, monument historique classé en 1979, j'aime vivre à Ouchy, commune libre bercée par le lac, où l'on rencontre de nombreux petits commerces et beaucoup de sociétés locales très actives.

Depuis ma place d'amarrage au bout du Quai des Savoyards, laissez-moi donc vous guider au travers de l'histoire millénaire d'Ouchy et celle plus récente et résolument moderne de la Commune Libre et Indépendante d'Ouchy. 

Je vous souhaite un agréable voyage en ma compagnie... »
du paléolithique à la pax romana

Sa Genèse plus que millénaire

On m'a raconté qu'à la suite du retrait des glaces (il y a 14000 ans env.), des chasseurs magdaléniens, ces paléolithiques « spécialistes » du renne, ont certainement dû passer à proximité d'Ouchy. Des traces de chasseurs-cueilleurs nomades du mésolithique ont été repérées sur les rives du Léman dès le sixième millénaire avant notre ère : il s'agit de simples foyers avec des outils.

Au néolithique, avec l'établissement des premiers villages « lacustres », nos ancêtres passent à une vie sédentaire : un mégalithe relevé (Route de Chavannes 29) et 124 tombes fouillées à Vidy témoignent de cette période entre 4000 et 3000 environ av. J.C.. Il reste difficile de dire s'il y a eu des occupations continues de nos rives. Peu de traces permettent de brosser un tableau des époques de Hallstatt et de La Tène, ni même de pouvoir certifier si notre côte a été brièvement abandonnée pendant l'occupation celte de la colline de la Cité.

Après les combats entre Helvètes et Romains, tels qu'ils nous sont narrés par César dans sa Guerre des Gaules (livres I, « Divico »et III, « l'Affaire du Valais »), la présence romaine sur le Plateau suisse s'étoffe, dès la fin du Ier siècle av. J .C., sous l'impulsion de l'empereur Auguste. C'est dans ce contexte que se développe à Vidy un vicus, au bord d'une baie allant du Flon à la Chamberonne, notre limite ouest de commune.

Cet habitat, modeste au début, va profiter de la proximité du Léman et du carrefour routier entre les importants axes reliant l'Italie au nord de la Gaule et la Narbonnaise à la Germanie, pour connaître un bel essor économique et devenir une véritable ville gallo-romaine (comme en témoignent son plan et sa basilique. Profitant de la pax romana des deux premiers siècles ap. J.C., Lousonna développe son commerce et le transport des marchandises par bateau.
Antiquité et nautes

A l'origine, ses Bacounis antiques

C'est dans l'une des boutiques qui longeaient la place publique, le long de la basilique, que l'on a retrouvé le local de la corporation des nautes, les bateliers du Léman, les nautae lacu Lemanno.

Tirée de Gilbert Kaenel, La promenade archéologique de Vidy, Lausanne, Association Pro Lousonna, 1ère éd.1977, 40p, p.33, « Le métier de ces bacounis de l'époque était de transporter et de veiller au bon acheminement des marchandises, par voie lacustre puis terrestre. Ils avaient aussi un bureau à Genève et des collègues, comme les « nautes du Rhône et de la Saône » ou encore ceux de « l'Aar et de l'Aramus (voies lacustres du pied du Jura) » qui étaient basés à Avenches »Sur un emplacement accordé par les autorités, cette inscription votive interpelle aujourd'hui Pirates et bateliers, professionnels du lac et de la CGN, ou encore plaisanciers et riverains. 

L'Antiquité a vu d'importantes fluctuations du niveau du lac et, pour les imaginer, on peut évoquer celles décrites par plusieurs témoignages, avant la construction des premiers barrages de Genève au 18e siècle : ces observations d'alors font état de variations saisonnières pouvant aller jusqu'à 2,5 mètres ! Ainsi, au début du 1er siècle ap. J.C., le niveau moyen du lac se situait entre 374 et 374,5 m, soit deux de plus que de nos jours. Les spécialistes pensent que ce niveau est peut-être même légèrement monté au cours des deux ou trois premiers siècles de notre ère.

Certains auteurs, m'a-t-on raconté, estiment qu'une villa gallo-romaine devait exister à Ouchy : elle aurait appartenu à un certain Ulpius ou Oschius, Romain qui aurait donné son nom à une propriété située dans la région du Denantou, ce qui expliquerait pour les uns le nom de notre port. Pour les autres, il faudrait mettre le nom d'Ouchy en rapport avec la montagne de la Dent d'Oche qui nous fait face et que je ne manque pas de saluer régulièrement.
Naissance d'ouchy

Sa naissance et ses Lettres de Franchise

De multiples évolutions, dont celles des transports et des relations économiques, font que la vie à l'époque romaine d'un pôle Vidy-Lousonna passe, à l'époque Moyen Age -XIXe s., à un axe Cité (Lausanne)-Ouchy. Entre le XIe et le XIVe siècle, un véritable port lacustre naît à ce qui ne s'appelle pas encore Ouchy.

Je l'ai lu, lors de mes nombreuses heures d'attente au ponton, dans L'Oscherin 4, août 2003, p. 4, le docte petit journal de l'Association des Amis du Musée du Vieil-Ouchy : Ouchy ne s'est pas fait en un jour, mais a bien reçu des droits, comme le présente le documentaliste Pierre Oehrli :« Après la mort en 1032 de Rodolphe III de Bourgogne, les parcelles de la Croix-d'Ouchy, de Paleyres et de Chamblandes auraient été léguées à l'Evêque de Sion. La présence de l'église Saint-Théodule, nom du premier évêque de Sion, attesterait de cette appartenance. Ce même Rodolphe donne le titre de comte de Vaud aux évêques de Lausanne. En 1144, l'Evêque Amédée de Lausanne accorda les lettres de franchise aux habitants de Rive moyennant 24 féras chaque 24 décembre. Ainsi les Oscherins d'alors, les Pirates, pouvaient rançonner et imposer tout convoi lacustre naviguant sur les eaux communales. Malheureusement, aucun document attestant cet acte n'a été trouvé. »

Une commune libre et indépendante est ainsi créée. Alors mes prédécesseurs habitaient « Rive » à l'époque (du lat. ripa, la rive) ? Eh oui, en 1170, l'Evêque, qui exerce de nombreux droits seigneuriaux, Landry de Durnes fait construire la Tour de Rive : « turrim in Ripa » (du Cartulaire du Chapitre de Notre-Dame de Lausanne, années 1177-1178), dans le but de protéger les habitants de Rive face aux Savoie. Cette décision importante s'inscrivait dans un véritable programme comprenant notamment la Tour Marsens, le Château de Glérolles, la Cathédrale et l'enceinte fortifiée de Lausanne.

Ce qui n'est qu'un petit hameau de modestes mais vaillants pêcheurs, déjà respectés, n'est nommé par Landry de Durnes « Oschies », du nom d'une de ses propriétés située au nord du Denantou (voir plus haut), qu'en 1188. Dès lors, mon port d'attache est cité comme tel, attesté définitivement dès la moitié du XIIIe s. dans le cadre de la dîme, et comme port marchand dès le XIVe s..

Pendant cette période, Ouchy se développe à l'image de « mon château », qui fut même un vrai château fort et, surtout, la résidence épiscopale jusqu'à ce que les évêques demeurent au Château Saint-Maire de la Cité.
répudiée d'un TRAIT de plume

Sa dramatique disparition dans la Réforme

A l'arrivée des Bernois (1536), l'Evêque de Lausanne doit fuir et le châtelain d'Ouchy de l'époque, un certain Pierre Francey, remet les clefs du château à Leurs Excellences de Berne.

Si Leurs Excllences de Berne introduisent la Réforme et fondent l'Académie de Lausanne (1537), elles choisissent de privilégier et d'investir dans le développement de Morges : mon château tombe petit à petit en ruine. Il abritera tout de même des réfugiés huguenots à la Révocation de l'Edit de Nantes (18 octobre 1685), où ces derniers développeront la culture du ver à soie ainsi qu'une production de porcelaine.

Une centaine d'années avant le départ des Bernois (24 janvier 1798, je ne possède pas de chiffres pour la période de la « révolution vaudoise »), mon port abrite à peine 150 personnes. Et ceci en dépit des efforts de conseillers lausannois qui avaient demandé, en vain, à Berne de le faire entièrement transformer dans un but militaire, commercial et industriel.

Il ne faut dès lors pas s'étonner que ma région ait abrité des réunions secrètes, en 1791, au caractère révolutionnaire commémorant la prise de la Bastille, la veille du 14 juillet chez Jacques-Antoine Lardy, commissaire à Ouchy, ou comme le célèbre Banquet des Jordils, le 14 juillet, sous les marroniers de la propriété du banquier Dapples (aujourd'hui Hôtel Royal). Leurs Excellences de Berne. réprimeront durement ces élans et tentent après de calmer la situation en inaugurant un nouveau port en 1793.

Quelle ne fut pas ma déception d'apprendre que, alors que tout se prêtait pour que nous retrouvions notre statut d'indépendance, le nouveau Préfet de Lausanne, en 1798, biffe tout simplement l'appellation de Commune libre et indépendante d'Ouchy.  Quel impudent !
Transport, économie, tourisme

Elle s'affirme et se développe néanmoins

Avec l'entrée du Canton de Vaud dans la Confédération (1803), mon château devient propriété cantonale et son état ne cesse de se délabrer à tel point que la Société immobilière d'Ouchy décide de construire un mur pour le soustraire, en plein XIXe s., à la vue des touristes qui se réjouissent de découvrir le Léman.

Car une nouvelle attraction double le paysage de mes prédécesseurs à voiles latines : le bateau à vapeur. Depuis 1823, une première unité, le Guillaume Tell, fait attraction au départ d'Ouchy, ce qu'aucun hôte de passage ne saurait manquer, comme Stendhal le raconte dans ses Mémoires d'un touriste. On met alors environ 6 heures pour relier Ouchy à Genève.

Le Conseil fédéral avait même prévu, en avril 1851, le chemin de fer avec un embranchement ferroviaire sur Ouchy. S'il avait été finalisé, sûr que la grande du nord se présenterait bien différemment d'aujourd'hui. A la place, le lointain Ouchy implique pour la Grande du Haut de puissants attelages ou, pour les tâches courantes, l' « Académie des ânes » qui grimpent, bardés de lourds fardeaux, jusqu'à la ville.

Ouchy change cependant, et vite, sous l'impulsion, notamment, de celui qui est devenu propriétaire de mon château, Jean-Jacques Mercier (1826-1903). Ce dernier est un des moteurs de la Société immobilière d'Ouchy (voir plus haut), qui a ouvert le grand hôtel du Beau-Rivage(1861). A la suite de la Compagnie Générale de Navigation (CGN, 1873), on ouvre, en 1894, le nouveau « Château d'Ouchy ».

Que de dynamisme dans cette époque propice à l'éclosion de nombreuses sociétés oscherines, à commencer par la plus ancienne d'entre elles, notre NANA (l'actuelle Société Vaudoise de Navigation, 1846). C'est également en ces temps qu'est ouverte la première usine à Ouchy, où arrivaient par eau les lignites de Belmont.

La Société de développement d'Ouchy naît elle aussi avec la fin de ce siècle (1899) et, au début du suivant (1901), elle pourra fêter l'inauguration de notre quai actuel.
la commune Libre et indépendante d'ouchy

Elle renaît, Libre à nouveau

Dans ces années du début de ce siècle qui me verra naître, un personnage apprécie de plus en plus nos régions et le Léman : c'est le Baron Pierre de Coubertin. Grand inspirateur de la rénovation des Jeux Olympiques, pétri de projets pédagogiques, certain de l'avenir-lui le noble- des universités populaires, il va fortement marquer l'homme sans lequel je n'existerais plus : le Dr. Messerli. Dès 1934, ce dernier n'aura de cesse de faire revivre la Commune libre et indépendante et dès 1948, les syndics (maires de la commune libre) se suivront, apportant chacun leur pierre à l'édifice : qu'il continue à s'ériger lentement, sûrement...

En 1144, les habitants d'Ouchy avaient obtenu une franchise de l'évêque de Lausanne, ce qui leur permettaient de gérer à leur guise le trafic marchand accostant au port. Cette autonomie fut annihilée par les Bernois lorsqu'ils occupèrent la totalité du Pays de Vaud. Lorsque les Bernois furent mis dehors, en 1798, le préfet de Lausanne radia l'inscription " Commune libre et indépendante d'Ouchy" et annexa le village à la ville. Cette fusion fut encore renforcée par la venue du plus petit métro du monde (La Ficelle) en 1878. 

Afin de faire renaître pacifiquement la Commune libre d'Ouchy, une équipe de navigateurs créèrent une confrérie exclusivement masculine, la Confrérie des Pirates d'Ouchy. Cette confrérie dispose de sa marine depuis 1948 (la Vaudoise, mondialement connue depuis qu'elle participa aux régates de Brest en France), de leur écusson, de leur Maison de Commune (à proximité du château) - Photo: Ouchy 1932, collection J Mercier - 
une identité forte

Une Commune pas comme les autres

Forte de l'appui de la Confrérie des Pirates et de ses nombreux bénévoles et sous l'impulsion de ses Syndics successifs, la Commune Libre et Indépendante d'Ouchy va voir sa réputation croître régulièrement et son impact dépasser largement les limites naturelles de son modeste territoire.

La clé de ce succès : des Syndics hyperactifs, de multiples activités au service du public et du patrimoine, un réseau de relations exceptionnel, une permanente remise en question, de la créativité et beaucoup d'énergie et de passion. Grâce à eux,  son territoire autoproclamé, sa fiscalité avantageuse ou encore ses jumelages et alliances, la Commune Libre et Indépendante d'Ouchy se démarque et se forge une réputation unique.

Aujourd'hui, la Commune Libre et Indépendante d'Ouchy se veut résolument moderne, proche des ses bourgeoises et bourgeois et tournée vers l'avenir. Elle espère pouvoir prolonger longtemps encore son histoire millénaire, à votre service, à celui des traditions et du patrimoine et avec votre soutien. 

"... Et pendant ce temps, moi, VAUDOISE, humble barque lémanique à peine plus âgée que la Confrérie des Pirates d'Ouchy, je suis fière de l'accompagner le long de ce chemin et contribuer ainsi à son succès et sa réputation." 

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